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Pour sauver le climat, laisser vieillir les arbres ou exploiter davantage les forêts ?

Canopée, Fern et les Amis de la Terre France publient un nouveau rapport sur la contribution des forêts françaises à la lutte contre les changements climatiques.

Publié le Rédigé par Canopée

Canopée, Fern et les Amis de la Terre France publient un nouveau rapport sur la contribution des forêts françaises à la lutte contre les changements climatiques.

Avec ce rapport, Canopée, Fern et les Amis de la Terre France démontrent que laisser vieillir les arbres est une stratégie efficace pour le climat.

Alors que le gouvernement prévoit d’augmenter de plus de 70% la récolte de bois en forêt d’ici 2050 [1] , ce rapport propose une autre stratégie plus efficace pour le climat et la biodiversité : laisser 25% de la forêt française en libre-évolution, miser sur la résilience et la diversité des espèces, allonger l’âge de récolte des arbres, mieux répartir les prélèvements actuels plutôt que des les concentrer dans les massifs les plus accessibles et pratiquer une sylviculture maintenant le couvert forestier constituent les principales recommandations de ce rapport.


Ce rapport a été remis le 18 février 2020 à la députée Anne-Laure Cattelot, nommée par le Conseil de Défense Écologique pour une mission sur la forêt et le climat.

[1] Dans la Stratégie Nationale Bas Carbone (page 27), le gouvernement prévoit d’augmenter la récolte de bois fort de 48 Mm3 en 2015 à 83 Mm3 par an en 2050 soit une augmentation de +72,9%.

Résumé

Par cette étude, nous avons tenté de faire état des connaissances sur le puits de carbone que constitue la forêt et la filière-bois, pour proposer et analyser une stratégie visant à optimiser le rôle de la gestion forestière dans l’atténuation du changement climatique à l’horizon 2050.


Le rôle climatique de la forêt et de sa gestion touche des champs scientifiques larges et complexes. Sans pouvoir être exhaustive, l’étude bibliographique montre une littérature assez riche et intéressante. Les stratégies actuelles proposées sont parfois contradictoires et de vifs débats ont lieu, en particulier sur les taux de prélèvement et la place accordée à la substitution par le bois des énergies et matériaux non renouvelables. Cette analyse montre que pour stocker du carbone, on devra (1) préserver et si possible augmenter les stocks aériens et sous-terrains par une sylviculture adaptée, (2) préserver et augmenter les stocks dans les produits bois, (3) substituer le bois aux matériaux concurrents en limitant les émissions générées par la filière-bois.


Nous étudions ensuite la marge maximale d’augmentation des prélèvements. La production nette totale de bois en forêt française est estimée à 120Mm3/an et le taux de prélèvement total à 50%. Compte-tenu des limites physiques et des verrous fonciers et sociaux, la surface maximale pouvant faire l’objet de prélèvements est évaluée à 78% de la forêt française soit 12,6 Mha. En prélevant en tout 95 Mm3 par an, on récolterait toute la production nette sur cette surface. Ce potentiel maximal de prélèvements ne pourrait être atteint qu’après des efforts conséquents d’équipement et de regroupement foncier, il suppose une mortalité constante et implique une exploitation quasi-totale des branches et des arbres morts, qui ne serait pas sans conséquences pour la biodiversité et la fertilité des sols. Cette hypothèse est approfondie dans le rapport.


Pour construire une stratégie d’atténuation et en étudier les effets potentiels, nous identifions d’abord trois situations de gestion type en France métropolitaine (libre évolution, impasses, sylviculture continue). La sylviculture continue est définie précisément, de même que les situations d’impasse qui nécessitent un reboisement par plantation avec changement d’essences. Un niveau de volume sur pied optimal (à l’équilibre) est estimé. Ensuite trois scénarios de prélèvement sont définis à partir d’objectifs très différents (priorité filière, priorité écosystème, compromis), ceci en surface constante (16 Mha) et dans deux scénarios d’évolution de la mortalité annuelle que l’on peut relier aux perspectives climatiques optimistes et pessimistes du GIEC. Dans ces scénarios, la surface non gérée concerne 35% de la forêt en 2020 et 25% en 2050 dont 10% en libre évolution sous statut légal, tandis que la surface en impasse (à raser/replanter) représente 3% de la forêt française en 2020 et 4 à 7% en 2050 selon le niveau de mortalité, le reste étant géré en sylviculture continue. Les taux de récolte de branches et du bois mort varient de 10% (priorité écosystème) à 75% (priorité filière).


Les trois scénarios étudiés mènent en 2050 à des récoltes totales allant de 30 à 95 Mm3/an, résultant d’évolutions contrastées des taux de prélèvement tige, branches et bois mort. A l’évidence, le scénario « extensif » optimise l’évolution des stocks dans l’écosystème, tandis que le scénario « intensif » optimise l’évolution des stocks dans les produits-bois. Toutefois, à partir d’un même état initial, le stock total (écosystème + produits) en 2050 est d’autant plus fort que le prélèvement est bas. Le puits annuel de carbone diminue continuellement dans le scénario d’augmentation des prélèvements, tandis qu’il monte avec le scénario de faibles prélèvements. Même en considérant les effets de substitution, le scénario de prélèvement intensif ne donne pas d’avantage climatique. Ces fortes variations de stock auront des conséquences sur la biodiversité, mais aussi sur la fertilité des sols et l’état sanitaire des arbres, donc sur la capacité des écosystèmes à continuer de produire du bois sans devenir dépendants d’intrants coûteux et énergivores.

Au-delà des questions de durabilité écologique, augmenter les prélèvements jusque 95 Mm3/an en 2050 imposerait des mesures autoritaires de mobilisation des surfaces et des volumes sur pied. Inversement, baisser les prélèvements comme dans le scénario extensif pourrait créer une crise d’approvisionnement dans la filière bois, accentuant les fermetures de scieries, les problèmes d’emploi en zone rurale et entrainant la hausse des imports. Le scénario de maintien des prélèvements actuels parait donc un compromis intéressant, pour autant que les prélèvements soient mieux répartis qu’aujourd’hui.


Nous proposons d’approfondir une stratégie d’atténuation, fondée sur (1) le choix explicite de maintenir durablement 25% de la surface forestière en libre évolution ; (2) le maintien jusque 2050 d’un prélèvement de 60 Mm3/an avec augmentation des surfaces gérées pour mieux répartir ce prélèvement dans l’espace, atteindre un capital d’équilibre et diminuer le taux de prélèvement des branches et du bois mort ; (3) la pratique d’une sylviculture à couvert continu avec des termes d’exploitabilité élevés, combinée dans les surfaces en impasse, à la futaie régulière par petits parquets plantés d’essences diversifiées après un travail du sol minimal. En proposant une hausse des prélèvements jusque 95 Mm3 d’ici 2050, les stratégies nationales actuelles (SNBC, PNFB, Afterre) ne détaillent pas l’effet de ce choix sur les stress subis par les arbres, les stocks de biomasse dans l’écosystème, la fertilité du sol sous l’effet du prélèvement des branches, la biodiversité sous l’effet du prélèvement des bois morts et de la raréfaction des gros et très gros bois, les conflits d’usage. Une telle optique peut mener à une déstabilisation des écosystèmes imposant progressivement la pratique des cycles courts et le renouvellement par plantation.

Toute stratégie à l’échelle nationale devrait être confrontée aux stratégies construites à l’échelle régionale avec les acteurs locaux, afin de tester son réalisme et d’imaginer plus concrètement la distribution des prélèvements dans l’espace. La littérature, les scénarios développés et l’outil de calcul de cette étude pourrait permettre un dialogue à partir de simulations régionales.

Le sujet traité est très complexe et notre étude n’a pas vocation à répondre aux interrogations fortes que pose aujourd’hui l’évolution climatique et le rôle à jouer par la forêt et les produits bois. Elle apporte cependant un regard nouveau sur le sujet, partage les savoirs et ouvre la discussion à un public large, afin que l’avenir de la forêt française ne soit pas décidé par les seuls experts et politiques dont la parole est jugée recevable.