Issu des travaux de la Convention Citoyenne pour le Climat, le projet de loi climat et résilience est en discussion au parlement. Bilan d’étape et décryptage pour les mesures concernant la forêt après le débat à l’Assemblée Nationale.
Octobre 2019, en pleine crise des Gilets Jaunes : Emmanuel Macron invente la Convention Citoyenne pour le Climat. 150 citoyennes et citoyens sont tiré.e.s au sort, et chargé.e.s d’élaborer des propositions pour limiter le réchauffement climatique.
La Convention Citoyenne travaille jusqu’en juillet 2020. Elle présente alors 149 propositions, dont 10 concernant la forêt. Parmi elles :
Ce qui sortira de cette convention sera soumis sans filtre soit au vote du Parlement, soit à référendum.
Emmanuel Macron, Président de la République, le 7 décembre 2020
Début 2021, le gouvernement présente son projet de loi climat & résilience (de son nom complet : Projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets). C’est lui qui doit traduire en loi les propositions de la Convention Citoyenne. Seulement, le projet de loi ne reprend pas la totalité des propositions de la Convention Citoyenne. Concernant la forêt, c’est simple : aucune des propositions n’a été retenue.
Le gouvernement a écarté les mesures forêt de son projet de loi : il s’agit donc de les remettre à l’ordre du jour.
Canopée analyse les mesures proposées par la Convention Citoyenne, et les reformule sous forme de propositions d’amendements.
Avec l’aide du cabinet Seattle Avocats, Canopée rédige un cahier d’amendements, et l’envoie à toutes les députées et à tous les députés.
Ce cahier contient 9 propositions d’amendements :
Juste avant que les députés ne débutent l’examen du projet de loi en commission, nous organisons une manifestation devant l’Assemblée Nationale, en lien avec les syndicats de l’ONF et de nombreuses associations locales notamment du Morvan.
Suite à cette manifestation, Le Monde et Reporterre publient deux longs articles de fond sur la question.
Pour qu’un amendement puisse être discuté par les Parlementaires, il doit remplir un certain nombre de conditions. Deux d’entre-elles sont particulièrement importantes :
En évitant de mentionner des mesures pour la forêt dans son projet de loi, le gouvernement verrouille toute possibilité d’amendement. Le débat sur le renforcement des effectifs de l’ONF est écarté pour la deuxième raison mentionnée, comme l’explique le député Dominique Potier lors de notre récent webinaire sur la réduction des postes à l’ONF (à partir de la minute 45’50). Au final, sur 9 amendements, 5 sont déclarés irrecevables, notamment ceux qui irritent le plus le gouvernement comme l’encadrement strict des coupes rases.
Les 4 amendements restants sont rejetés par les députées et députés de la Commission Spéciale. Il s’agit de l’amendement concernant la révision des principes de la gestion forestière, en page 11 du cahier d’amendements, de l’amendement concernant la conservation du puits de carbone forestier, en page 13 du cahier d’amendements, de l’amendement concernant la lutte contre l’artificialisation des sols, en page 19 du cahier, et de l’amendement concernant la mobilisation de la biomasse, en page 20.
Notre analyse des débats, et les nombreux échanges que nous avons avec des députés de différents partis politiques, nous permettent de penser que la partie n’est pas perdue pour autant : les débats en plénière vont être décisifs.
Un projet de loi climat sans la forêt ? Le gouvernement commence à comprendre que la situation est difficilement tenable, mais le Ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie, s’arc-boute.
Canopée lance une mobilisation sur les réseaux sociaux et propose aux citoyens d’interpeller directement leur député. La pression monte et culmine avec la diffusion, le 21 mars, de l’émission Sur le Front des Forêts Françaises, d’Hugo Clément : avec plus de 1,8 millions de vue, l’émission est un succès d’audience.
Les députés comprennent que la forêt est un sujet politique et que la stratégie gouvernementale d’évitement du débat est une impasse : de nombreux député.e.s du groupe Les Républicains s’ajoutent aux député.e.s de La France Insoumise, du groupe Socialiste et de La République en Marche. Désormais, 249 députées et députés (sur 577 au total) soutiennent au moins un de nos amendements avant même le débat en plénière. L’amendement demandant un encadrement strict des coupes rases totalise 99 soutiens.
« C’est un amendement dont le texte initial a été travaillé par l’association Canopée, à qui je reconnais une force de travail et une légitimité autour de la table parmi d’autres, même si nous ne sommes pas d’accord sur tout »,
Anne-Laure Cattelot, députée LREM, citée par Forestopic
Une fois de plus, le gouvernement joue la carte de l’irrecevabilité pour les amendements les plus visibles et les plus dérangeants. Nous décidons alors de concentrer nos efforts sur un amendement clé qui vise à réécrire le début du code forestier en affirmant que les politiques forestières doivent viser à restaurer un bon état écologique des forêts et maintenir, voir renforcer, le puits de carbone naturel. D’apparence anodine, l’affirmation de ces principes, qui dérivent directement des grandes conventions internationales sur le climat et la biodiversité est, en réalité, un puissant levier pour remettre en cause certaines dérives de la filière forêt-bois et l’objectif d’augmentation démesurée de la récolte de bois.
L’amendement est déposé par 153 député.e.s de tous les partis (sauf Rassemblement National) : il a une vrai chance de passer.
Le gouvernement flaire aussi ce risque : au lieu de s’opposer à l’amendement, il décide donc de le « sous-amender », c’est à dire de proposer des modifications à l’amendement. Or ces modifications suppriment de nombreux points importants, et vident notre amendement de son sens.
Cette vidéo décrypte cette opération, en analysant les débats à l’Assemblée :
Certes : nous sommes déçus. La plupart de nos amendements a été déclarée irrecevable, et le seul amendement finalement adopté a été fortement vidé de son sens.
Mais il y a aussi plusieurs points positifs à retenir :