Curiosité du code forestier, la notion de coupe rase n’est pas définie alors que l’article L124-6 se propose de l’encadrer. Il faut se plonger dans l’Inventaire Forestier National (IFN) pour trouver une définition de la coupe rase qui “désigne en gestion forestière l’abattage de l’ensemble des arbres d’une parcelle”.
La coupe rase doit être distinguée de la coupe définitive lorsque la forêt est gérée en futaie régulière. Une futaie régulière est un peuplement d’arbres du même âge. Les arbres sont récoltés par des coupes progressives, espacées d’une dizaine d’années. La dernière coupe permet la récolte des derniers grands arbres arrivés à maturité. Cette coupe est également qualifiée de coupe de régénération car ces arbres ont donné naissance à des semis qui prendront le relais. Contrairement à la coupe rase, le sol n’y est jamais découvert, ce qui limite l’érosion. Toutefois, elle n’enlève pas tous les inconvénients des coupes rases sur le paysage (parcelle vide de bois après la coupe définitive) et sur la biodiversité : les espèces d’oiseaux associées aux gros bois perdent leurs habitats, par exemple les pics, les sittelles, de même que les insectes xylophages ou encore les chiroptères.
Les coupes rases sont aujourd’hui très mal encadrées par la loi, y compris dans les parcs naturels régionaux. Dans le cadre de la révision de sa charte, les élus du parc naturel régional du Morvan ont demandé à pouvoir mieux réguler les coupes rases sur leur territoire : l’État s’y est opposé, expliquant que le code forestier ne le permettait pas.
Plusieurs outils réglementaires encadrent la gestion forestière, selon que la forêt appartient à un propriétaire public (L’État ou une collectivité locale) ou privé. En France, 75% des forêts appartiennent à des propriétaires privés.
Pour les forêts de plus de 25 hectares, le propriétaire doit réaliser un Plan Simple de Gestion et le faire valider par le Centre Régional de la Propriété Forestière. Ce plan doit être cohérent avec le Schéma Régional de la Gestion Sylvicole (SRGS). Pour les forêts de moins de 25 hectares, le propriétaire doit simplement s’engager à respecter un règlement type de gestion ou un code de bonne pratique sylvicole (CBPS). A défaut, et selon un seuil de surface défini dans chaque département, il peut également demander une autorisation de coupe.
Pour les forêts publiques, c’est l’Office National des Forêts qui élabore les documents de gestion en se référant au Schéma Régional d’Aménagement.
En pratique, ces documents qui sont censés garantir une gestion durable des forêts n’imposent presque aucune restriction sur les coupes rases.
Par exemple, l’article L124-6 fixe une obligation de reconstitution du peuplement au plus tard 5 ans après une coupe rase plutôt que de définir une surface maximale à partir de laquelle les conséquences négatives des coupes rases seraient interdites. Ainsi, la logique du code forestier est d’assurer la reconstitution des futures capacités de récolte de bois, pas de préserver des conséquences néfastes de ces prélèvements brutaux les sols forestiers, la biodiversité ou le paysage. Autrement dit, dans le code forestier actuel, la forêt n’est pas définie comme un écosystème vivant mais plutôt comme un capital dont on souhaite assurer la capacité à fructifier, pour son propriétaire mais aussi pour la filière bois en général.
Les documents cadres au niveau régional (Schéma Régional de la Gestion Sylvicole Schéma Régional d’Aménagement) ne fixent aucune préconisation claire et contraignante. Dans les Landes, où le modèle dominant est la sylviculture intensive du Pin maritime, aucune autorisation n’est nécessaire pour une coupe rase jusqu’à 4 hectares. Au–delà, le Schéma régional de gestion sylvicole d’Aquitaine ne mentionne aucune obligation particulière. Ainsi un propriétaire de 100 hectares de Pin maritime, ayant fait approuver son plan simple de gestion peut gérer sa forêt par coupes rases de 20 hectares d’un seul tenant tous les 7 à 10 ans, dès lors qu’il replante les parcelles après coupe.
Dans le Morvan où domine la sylviculture intensive du Douglas, le seuil pour demander une autorisation de coupe rase est de 2 hectares (et uniquement pour les massifs d’au moins 10 hectares). Au-delà, comme pour l’Aquitaine, les documents d’orientation applicables dans le Morvan, que ce soit le Schéma Régional de la Gestion Sylvicole (SRGS) ou le code de bonnes pratiques sylvicoles (CBPS), ne fixent aucune limite aux coupes rases, pas même à titre indicatif. Il faut éplucher le paragraphe “Paysage” du SRGS de Bourgogne pour y lire qu’il faut « respecter l’échelle du paysage ; par exemple, éviter les coupes à blanc de taille trop importantes par rapport au massif et bien en vue ». Une recommandation non-contraignante et vide de toute portée normative. Donc inutile.
Dans l’imaginaire collectif, planter un arbre est associé à une bonne gestion forestière. En réalité, dans une forêt bien gérée, pas besoin de planter des arbres : la récolte des grands arbres, arrivés à maturité, ouvre un puits de lumière qui permet aux jeunes pousses du sous-bois de prendre le relais. C’est ce que l’on appelle la régénération naturelle. Quand un forestier doit planter des arbres, c’est que le fonctionnement normal de l’écosystème est perturbé. C’est le cas avec une coupe rase.
Il est d’ailleurs frappant de noter que ce sont les acteurs pratiquant le plus les coupes rases qui font le plus la promotion de la plantation. C’est le cas, par exemple, de la coopérative Alliance Forêt Bois qui est l’origine du fonds de dotation “Plantons pour l’avenir”. Ce fonds de dotation est présenté comme une initiative responsable, ouvrant droit à une défiscalisation alors que c’est juste un moyen de drainer des financements privés pour payer des travaux de plantation réalisés, notamment par la coopérative après ses propres coupes rases. Un business vert très juteux.
Alors que les coupes rases font l’objet d’une contestation croissante, il n’existe pas de statistiques officielles permettant de mesurer l’ampleur de ce phénomène et son évolution.
La dernière étude de qualité sur le sujet date de 1999. Elle a été coordonnée par Christian Barthod (Ministère de l’Agriculture) et ses collègues, dans un article de la revue forestière française analysant les données de l’IFN de 1996-1997.
L’article débute par une comparaison de la réglementation entre différents pays d’Europe et souligne le choix de la France qui « estime que la solution aux problèmes de tous ordres que peuvent soulever certaines coupes rases ne se trouve pas dans la fixation d’un seuil de surface, mais dans une plus grande capacité des acteurs forestiers à prendre conscience des impacts de leurs décisions et à adapter en conséquence leurs choix sylvicoles ». L’article mentionne une étude du CREDOC qui évalue à 31 % les Français qui « trouvent les coupes rases trop nombreuses ».
En terme de surface, cet article estime la surface de forêt française gérée en coupe rase à 139 300 hectares. Par la suite, l’Institut Forestier National (IFN) a publié, tous les 5 ans, de 2000 à 2015, une synthèse sur les indicateurs de gestion durable des forêts. Les éditions de 2000 et 2005 consacrent une rubrique aux coupes fortes et rases estimées à environ 91 300 hectares en 2000, et 95 400 hectares en 2005. La part des coupes rases suivies de plantation y est de l’ordre de 30 %. Les publications suivantes de 2010 et 2015 ne calculent plus cet indicateur. Il faut se référer à d’autres indices proches, sans pouvoir être sûr qu’ils soient exactement comparables. L’édition 2010 mentionne ainsi une surface totale en régénération des forêts françaises de 95 000 hectares dont 27 400 hectares en coupe rase / plantation, soit 29 %. Enfin, en 2015, l’IFN évalue ces mêmes surfaces en régénération à 109 000 hectares, dont 29 000 hectares en régénération artificielle (coupe rase suivie de plantation).
A l’échelle nationale, par conséquent, la surface des coupes rases semble d’un ordre de grandeur assez constant, la variation entre les années pouvant s’expliquer soit par des changements de méthode d’évaluation, soit par l’effet des tempêtes (1999 notamment).
Les coupes rases sont pratiquées aussi bien dans les forêts publiques (gérées par l’ONF) que dans les forêts privées. Nous constatons toutefois que cette pratique est plus fréquente dans les forêts privées où la gestion et l’exploitation sont confiées à des coopératives forestières. Comme en agriculture, ces coopératives ont connu un phénomène de concentration ces dernières années et ont acquis une situation de quasi-monopole sur l’ensemble de la filière : production de plants, conseil et conduite de travaux, commercialisation du bois. Les coopératives forestières sont donc en situation de conflit d’intérêt puisqu’elles ont tout intérêt justement à préconiser des coupes rases… pour mieux vendre ensuite des travaux de plantation.
Les sécheresses récentes ont entraîné une hausse de la mortalité des arbres, plus ou moins importante selon les régions et la nature des peuplements. Lorsque localement ces dépérissements sont très importants, une coupe rase suivie d’un reboisement est bien souvent la seule option. C’est ce que l’on appelle une impasse sanitaire. Le problème est que la notion d’impasse sanitaire est trop souvent confondue avec celle d’impasse sylvicole, c’est à dire le cas de peuplements jugés insuffisamment productifs et qui sont rasés pour être remplacés par des plantations. Il s’agit particulièrement des taillis de feuillus (chênes, châtaigniers…) qui peuvent pourtant avoir un intérêt écologique important.
Les coupes rases ne sont pas interdites par la certification PEFC qui est pourtant censée garantir une gestion durable des forêts. Pire, les coopératives forestières bénéficient d’un auto-agrément qui leur permet de labelliser automatiquement le bois issus de coupes rases.
Entre les pays européens il n’existe pas d’harmonisation sur l’encadrement des coupes rases. La Finlande, par exemple, n’applique pas de restriction concernant la taille des coupes à blanc alors que la Pologne fixe une ampleur maximum de 6 hectares. En Lituanie, les coupes rases peuvent atteindre 15 hectares pour les forêts dites commerciales. Même au sein des pays, la législation peut varier drastiquement. En effet, si dans certaines régions allemandes, toute coupe rase de plus d’un à deux hectares est soumise à l’autorisation du service forestier, d’autres interdisent strictement ces pratiques ou au contraire les encadrent peu.
En Europe, la Suisse a été le premier pays à interdire légalement les coupes rases en 1902. Elle a été suivie par la Slovénie en 1948, qui a rendu obligatoire sur son territoire la sylviculture proche de la nature. Ces législations se sont construites en réponse à la détérioration extrême des surfaces forestières en Europe suite au développement fulgurant au 19eme de plantations de conifères et à la demande accrue en bois durant la 2nd Guerre Mondiale.
L’article 22 du code forestier suisse interdit les coupes à blanc et les types de récolte de bois ayant des effets similaires. Les cantons sont autorisés à accorder des exceptions pour des mesures sylvicoles spéciales (ex : coupe sanitaire). La loi slovène proscrit également les coupes à blancs et sanctionne d’une amende les personnes physiques ou morales ne respectant pas l’interdiction. Elle prévoit également que toute coupe d’arbre soit préalablement autorisée par le Service Forestier Slovène (SFS). Les employés du SFS sont ainsi responsables du marquage des arbres dans le domaine public et privé et de l’élaboration d’un plan de sylviculture avec le propriétaire forestier.
En Lettonie, la taille des coupes rases est régulée en fonction du type de sol. Sur sol sec, la taille de coupe maximum est de 5 hectares (10 hectares pour les sols sableux secs). Sur sol humide, la coupe se fait par bandes n’excédant pas 50 mètres de largeur pour les sols tourbeux, et 100 mètres pour les sols minéraux.
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Le cadre législatif suédois est historiquement porté sur l’extraction et le contrôle de la production forestière. Les régulations encouragent fortement le reboisement artificiel et le peuplement d’âge homogène. Le code forestier de 1993 a opéré un changement notoire en établissant des objectifs environnementaux et en instaurant le principe de « liberté avec responsabilité ». Elle autorise la gestion en couvert continu et met en place des exigences pour les coupes rases (ex : proscription des coupes près des ruisseaux, préservation de 5% des arbres de la parcelle). Cependant, le code forestier n’impose pas de limites pour la taille des coupes à blanc , qui reste la méthode d’exploitation forestière privilégiée. Raison pour laquelle des associations environnementales suédoises ont décidé de poursuivre leur gouvernement en justice pour manquement aux obligations issues de la directive habitats de l’Union Européenne.
Pour aller plus loin :
Rapport : pour sauver le climat, laisser vieillir les arbres ou exploiter davantage les forêts ?