Dans le cadre du plan « France Relance », le gouvernement a fléché 200 millions d’Euros vers la filière forêt-bois. L’objectif affiché : aider les forêts à s’adapter au changement climatique. Nous révélons dans notre enquête que cet argent public a en vérité principalement financé des coupes rases et la plantation de douglas. Le plan de relance a donc surtout permis de subventionner l’industrialisation de la gestion forestière.
Pour illustrer nos critiques, nous présentons quatre études de cas. La première d’entre elles, présentée également dans la vidéo ci dessous, montre comment une forêt saine et intéressante d’un point de vue sylvicole est rasée par la coopérative CFBL( Coopérative Forestière Bourgogne Limousin) pour être replacée par une plantation, de douglas principalement :
Planter massivement des arbres : stratégie d’adaptation au changement climatique ou cadeau aux industriels ?
Le plan de relance vise à planter 50 millions d’arbres en deux ans. Le chiffre peut paraître impressionnant, mais la forêt n’a pas besoin de l’homme pour pousser : si planter des arbres en forêt peut parfois être une solution face à un constat d’échec, il s’agit aussi d’une stratégie d’industrialisation de la gestion forestière.
En effet, ce qui distingue la forêt de l’agriculture est que les forêts sont des écosystèmes, qui n’ont pas besoin de l’action humaine pour se renouveler. La gestion forestière s’appuie sur la dynamique naturelle de l’écosystème, et cherche à produire et à récolter des grands arbres arrivés à maturité, dont le prélèvement va ouvrir un puits de lumière permettant aux jeunes pousses du sous-bois de prendre le relais, ou aux autres arbres d’accéder à la canopée. Lorsque le forestier doit planter, c’est parce qu’il considère que la régénération naturelle n’est pas suffisante en quantité ou en qualité. Comme nous l’expliquons dans une tribune dont nous avons coordonné la rédaction avec plus de 600 scientifiques et acteurs de la filière forêt-bois, l’accent mis sur la plantation d’arbres est un moyen de se détourner du principal enjeu : “une stratégie d’adaptation prometteuse et efficace est d’abord d’essayer d’accompagner et d’améliorer les peuplements en place à chaque fois que cela est possible ». Mais ces stratégies fines ne conviennent pas aux grandes coopératives forestières.
Les coopératives forestières : où est le problème ?
Les coopératives forestières sont des entreprises jouant un rôle central dans la filière forêt-bois.
Historiquement, les coopératives ont été rattachées à un territoire précis et circonscrit. Leur rôle était celui d’un conseiller aux propriétaires, qui « se partageaient » ainsi un conseiller.
Le marché est aujourd’hui dominé par cinq grandes coopératives forestières : Alliance Forêts Bois, la Coopérative Forestière Bourgogne Limousin (CFBL), Unisylva, Forêts et Bois de l’Est et Nord-Seine Forêt.
La coopérative Alliance Forêts Bois, à l’origine landaise (la coopérative agricole et forestière du sud-atlantique, CAFSA) est par exemple le résultat de la fusion successive de 18 coopératives locales. Aujourd’hui, Alliance compte plus de 650 salariés, affiche un chiffre d’affaires de 198 millions d’Euros et s’étend de Bayonne à la Normandie. Cette concentration pose problème, car elle conduit à une uniformisation des itinéraires techniques préconisés, qui reposent sur les principes du modèle de la sylviculture landaise : des coupes rases suivies de plantations.
La place des coopératives forestières devient hégémonique au sein de la filière bois : Alliance possède par exemple des entreprises de l’amont et de l’aval de la filière. La coopérative possède des parts dans des pépinières (FORELITE, SCEA Berdillan), des scieries (CBS), mais aussi des entreprises de fabrication d’engins (La Landaise) ou d’entreprises de transport (Castagnet- Duméou).
De plus, les coopératives effectuent certes toujours du conseil, mais elles effectuent également des travaux (de coupe ou de plantation), et achètent le bois de leurs clients. C’est généralement le même technicien de secteur qui conseille les propriétaires, achète les bois et facture les travaux.
Le propriétaire forestier est aujourd’hui captif de la coopérative, du plant à la planche : un modèle qui reproduit celui constaté dans l’agriculture.
Il résulte de ces évolutions que les coopératives forestières ont un intérêt économique à conseiller aux propriétaires des travaux lourds : ainsi, elles peuvent facturer ces travaux, l’éventuelle plantation qui s’en suit, et diriger une activité économique vers les pépinières, scieries, entreprises de fabrication d’engins et de transport qu’elles possèdent.
Le manque de transparence
« Tous les projets sont par définition publics. Moi, je ne cache rien. C’est d’une transparence totale. »
Les mots du Ministre de l’agriculture, Julien Denormandie, prononcés le 22 décembre 2020 lors d’une question posée par Canopée à propos du plan de relance, font aujourd’hui l’effet d’une promesse non tenue.
Malgré 8 demandes écrites d’accès à la liste des parcelles bénéficiant du plan de relance adressées au Ministère, cette liste ne nous a pas été transmise.
Les grandes coopératives forestières, comme par exemple Alliance Forêts Bois, n’ont pas non plus souhaité communiquer la liste des parcelles pour lesquelles elles ont reçu de l’argent public.
Pour réaliser cette enquête, nous nous sommes donc basés sur une trentaine d’entretiens avec des professionnels de la filière forêt bois, des agents de l’ONF, des élus locaux ou des fonctionnaires.
Si Canopée critique le plan de relance, l’objectif est bien de montrer ses failles pour que les futures subventions publiques soient mieux conditionnées. Voici nos recommandations :
Avant publication de notre rapport, nous avons envoyé chaque étude de cas mentionnée dans le rapport aux entreprises concernées.
La Coopérative Forestière Bourgogne Limousin nous a fait parvenir sa réponse, que nous partageons ici :
Lire la réponse de la CFBL à l’étude de cas n°1
Nous remercions la CFBL pour sa réponse et le dialogue ainsi entamé. En revanche, nous ne partageons pas les constats mentionnés dans cette réponse, ni les choix de sylviculture qui ont été faits par la suite. Nous sommes ouverts à une visite sur le terrain avec des représentants ou représentantes de la CFBL pour discuter plus amplement de la gestion des peuplements qui entrent dans la catégorie « peuplements pauvres » du plan de relance.