Cette semaine, les députés débutent l’examen en commission du projet de loi de finances pour 2021. Analyse des propositions initiales et des amendements déposés à l’article 15 qui fixe la politique nationale en matière de biocarburants.
Pour la troisième année consécutive, les débats autour de l’utilisation de l’huile de palme dans les carburants devraient être vifs. En 2018, le parlement a voté l’exclusion des produits à base d’huile de palme de la liste des biocarburants, avec une entrée en vigueur au 1er janvier 2020. En 2019, cette exclusion a été confirmée par le parlement mais le gouvernement a ouvert discrètement une exception pour l’un des principaux produits à base d’huile de palme utilisée par Total pour sa bioraffinerie de La Mède : les distillats d’acides gras de palme ou PFAD (Palm Fatty Acid Distillate). Suite à la révélation de cette manœuvre, Élisabeth Borne alors ministre de la Transition écologique et solidaire a convoqué une réunion de clarification le 23 janvier 2020 qui n’a donné lieu à aucune conclusion. Saisi, le Conseil d’État n’a toujours pas rendu sa décision sur le statut fiscal des PFAD.
Plusieurs députés de différents groupes politiques (EDS, LFI, Les Républicains, Territoires et Libertés…) ont déposé des amendements pour exclure de façon claire les PFAD pour ce nouveau projet de loi de finances. Preuve que le sujet reste très sensible politiquement, aucun député de la majorité n’a déposé d’amendements alors que le groupe En Marche s’y était engagé, en juin 2020, dans son document de sortie de crise :
Exclure clairement les PFAD du mécanisme fiscal d’incorporation aux agrocarburants et prévoir le même dispositif pour le soja.
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Lorsqu’elles étaient députées, Barbara Pompili, actuelle ministre de la Transition écologique et solidaire et Bérangère Abba, actuelle secrétaire d’État à la biodiversité se sont engagées pour mettre fin à l’utilisation d’huile de palme dans les carburants.
Le 23 janvier 2020, lors de la remise du rapport sur les agrocarburants, Barbara Pompili alors présidente de la Commission développement durable de l’Assemblée nationale précise : « que les députés ont souhaité, à travers le vote du budget, que les produits à base d’huile de palme, dont les PFAD, ne bénéficient plus d’aides fiscales. »
Lors de ses vœux aux acteurs du territoires, le 24 janvier 2020, elle insiste sur le risque de discrédit de la parole politique si le gouvernement persiste à contourner la décision des députés:
« Nous avons découvert, grâce aux ONG, qu’une note des Douanes confirmait une partie de notre vote mais disait que certains résidus (ou coproduits), les PFAD pouvaient toujours bénéficier de l’avantage fiscal. […] Nous avons vraiment peu apprécié, alors que nous avons voté clairement par deux fois, que l’on essaie encore de contourner notre vote. […] Le respect du vote du parlement élu c’est une des bases de notre démocratie. Que certains le méprisent et essaient sans arrêt de le contourner est inacceptable »
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Désormais ministre de la Transition écologique et solidaire, nous attendons donc maintenant de voir si Barbara Pompili arrivera à neutraliser l’influence du ministère des finances pour laisser les députés voter ces amendements de clarification sur le statut des PFAD.
C’est la bonne surprise de ce projet de loi de finances : le gouvernement ouvre le débat sur l’utilisation de soja en proposant de plafonner son utilisation au niveau de 2017. Depuis 2008, au moins 8% de l’expansion des cultures de soja s’est réalisée au détriment de terres riches en carbone, ce qui fait de l’huile de soja la deuxième commodité, après l’huile de palme, ayant le plus fort impact sur les changements indirects dans l’affectation des sols. Si politiquement, pour éviter de froisser les USA, la Commission européenne n’a pas souhaité classer l’huile de soja dans la liste des matières premières à fort risque de changement indirect d’affectation des sols, elle a néanmoins ouvert la possibilité aux États membres d’aller plus loin avec l’article 26 de la directive REDII qui permet d’opérer une distinction entre différents biocarburants […], en tenant compte des meilleures données disponibles.
Depuis 2015, l’utilisation d’huile de soja dans les biocarburants a été multipliée par 5. Les chiffres des douanes pour 2020 ne sont pas encore publiés mais ils devraient indiquer une accélération de cette augmentation par effet de substitution à l’huile de palme brute, exclue depuis le 1er janvier 2020 du mécanisme d’incitation à l’incorporation de biocarburants. En cohérence avec la décision sur l’huile de palme, plusieurs députés proposent d’aller au-delà d’un simple plafonnement et d’exclure également l’huile de soja.
Une exclusion de l’huile de soja de la liste des biocarburants aurait un effet de lisibilité et d’entrainement très important au niveau européen en créant un précédent favorable avant la révision, en 2021, de la liste des biocarburants à fort risque de changement indirect d’affectation des sols.
Autre nouveauté de ce projet de loi de finances, le gouvernement propose d’étendre sa politique de soutien aux biocarburants au secteur aérien en fixant un objectif d’incorporation de 1% dès 2022. Pour l’instant, aucun amendement n’a été déposé par des députés alors que le risque d’importer des biocarburants contribuant à la déforestation est très fort. Nous recommandons la suppression de cette disposition et la réalisation d’une étude d’impact préalable avant de fixer un éventuel objectif d’incorporation de biocarburants avancés pour l’aviation.
Officiellement, l’utilisation de biocarburants de première génération est exclue mais la rédaction des paragraphes 47 et 48 de l’article 15 ouvre la possibilité d’utiliser des distillats d’acide gras de palme (PFAD). En effet, le tableau du paragraphe 48 précise qu’un seuil de 0% est appliqué pour « les cultures destinées à l’alimentation humaine ou animale, dont palme et soja ». Or, comme l’indique la note du ministère des Finances que nous contestons au Conseil d’État, le gouvernement considère que les PFAD ne sont pas des produits à base d’huile de palme ce qui ouvre la possibilité de les utiliser pour l’aviation. Pour Total et le gouvernement, le secteur aérien constitue un secteur stratégique: le géant de l’énergie n’a pas renoncé à y écouler ses biocarburants à base d’huile de palme produits à La Mède.
Le deuxième problème que soulève cet article est celui de la disponibilité réelle en huiles de cuisson usagées pour développer des biocarburants avancés. En refusant de fixer un seuil, le gouvernement ouvre la voie à des importations massives d’huiles de cuisson usagées ce qui pourrait se traduire, directement ou indirectement, par une augmentation de la déforestation. Directement car de nombreuses fraudes ont été constatées sur des huiles de cuisson usagées qui sont, en réalité, des huiles de palme ou de soja brutes. Indirectement car la Chine exporte des volumes importants d’huiles alimentaires usagées vers l’Europe et importe, en substitution, de l’huile de palme, moins chère. C’est pour limiter ces risques que la directive européenne REDII a souhaité isoler ce type de biocarburants (dans la partie B de l’annexe 9) et fixer un seuil limite d’incorporation à 1,7% dans les carburants routiers.
En France, le gisement d’huiles alimentaires usagées est évalué à environ 100 000 tonnes / an d’après l’ADEME. Ce gisement est déjà valorisé à hauteur de 45 000 tonnes.
Pour sa bioraffinerie de La Mède, Total prévoit déjà potentiellement d’utiliser 100 000 tonnes d’huiles alimentaires usagées ou de graisses animales pour un approvisionnement global de 650 000 tonnes. L’exclusion des produits à base d’huile de palme de la liste des biocarburants pourrait entraîner une plus grande utilisation d’huiles alimentaires usagées et de graisses animales. L’industriel vient d’annoncer un nouveau projet de reconversion de la raffinerie de Grandpuits avec un plan d’approvisionnement de 400 000 tonnes dont le détail n’est pas connu mais qui prévoit d’utiliser des quantités importantes d’huiles alimentaires usagées et de graisses animales.